Un humaniste dans la Résistance
Entretien avec Thierry Meyssan (seconde partie)
L’entretien réalisé par ReOpen911 avec Thierry Meyssan a suscité bien des critiques sur le forum de cette association. Sans remettre en cause les propos du président du Réseau Voltaire, certains lecteurs s’interrogeaient sur sa crédibilité au regard des révélations des grands médias sur ses fréquentations. Une seconde session de questions-réponses a donc été organisée au cours de laquelle les membres de ReOpen911 ont pu vider leur sac et Thierry Meyssan leur répondre avec la même franchise. Suite et fin de ce dialogue décapant.
3 septembre 2008
Depuis Beyrouth (Liban)
ReOpen911 : M. Meyssan, vous terminiez notre précédent entretien par ces mots : «Je vous invite à renouveler [ce type d’]échange si vous continuez à vous interroger sur les prises de position que m’attribuent les médias. Je serais heureux de les préciser, de les expliquer et de lever de possibles malentendus.» Bien que ReOpen911 n’ait nullement pour vocation de devenir votre tribune, il nous apparaît effectivement essentiel de le faire tant les malentendus sont nombreux, d’autant plus que ReOpen911 y a été associée! Pour commencer, et lever toute «ambiguïté» à ce sujet, quelles sont vos relations avec l’extrême droite, ses idées, le Front National et plus précisément avec son nouveau conseiller culturel, M. Alain Soral que vous avez rencontré à plusieurs reprises ?
Thierry Meyssan : Je ne m’attendais pas à ce que vous saisissiez la balle au bond et que vous demandiez un nouvel entretien dans un si bref délai. En revanche, je ne doutais pas que vous souhaiteriez une clarification de mes positions politiques, vu les âneries que l’on véhicule à mon sujet.
Cette clarification exige que votre question elle-même soit claire. Or, vous placez au même plan un homme, un parti, un courant politique et une idéologie. Je me réclame de la pensée des Lumières et du radicalisme. À ce titre, je veux développer le débat démocratique, y défendre mes idées et en réfuter d’autres. Précisément, le débat démocratique ne se développe que lorsque l’on accepte de se confronter aux gens dont on ne partage pas les idées.
J’ai toujours activement combattu les idéologies d’exclusion, que ce soit le racisme ou l’antisémitisme, l’apartheid ou le sionisme, etc. Ceci m’a conduit à publier de nombreux articles polémiques et à participer à quantité d’émissions de radio et de télévision où je me suis notamment opposé à des représentants du Front National.
Jusqu’à la guerre du Kosovo, l’action du Réseau Voltaire en général et la mienne en particulier ont été unanimement reconnues à gauche au point que les principaux partis politiques, syndicats, associations et loges maçonniques de gauche m’ont confié à plusieurs reprises l’animation du Comité national de vigilance contre l’extrême droite.
Pour mener à bien ce combat idéologique, j’ai mis en place au sein du Réseau Voltaire un observatoire des extrêmes droites. Nous avons analysé en détail la plupart de leurs discours et de leurs publications et nous avons élaboré des argumentaires pour leur répondre. Pour compléter nos analyses, j’ai interviewé de nombreux leaders d’extrême droite. Je me suis efforcé de comprendre leur point de vue et d’apprécier leurs qualités humaines. Cela n’a jamais modifié en quoi que ce soit mes convictions, mais m’a conduit à changer mon regard sur eux.
Alors que certains médias et organisations faisaient campagne pour l’interdiction du Front National, j’ai au contraire milité pour une réforme du mode de scrutin qui lui permette de représenter ses électeurs à l’Assemblée nationale. Alors que certains s’efforçaient de diaboliser ce parti, j’ai milité pour que l’on prenne en considération les préoccupations de ses électeurs et qu’on y apporte des réponses conformes à nos valeurs. J’insiste sur ce point : une analyse précise du discours de Jean-Marie Le Pen m’a convaincu que son succès électoral n’avait rien à voir avec une épidémie de racisme, mais avec la détresse de ceux de nos concitoyens qui ont été les victimes de la colonisation et de la décolonisation, qui se sont sentis manipulés, puis abandonnés par l’État. A contrario, la diabolisation dont Jean-Marie Le Pen et ses électeurs ont fait l’objet prolonge la lâcheté d’une classe dirigeante incapable d’assumer ses erreurs historiques.
Simultanément, j’ai considéré que nous devion réprimer les groupes paramilitaires qui s’étaient formés à l’intérieur et autour du Front National. Comme vous le savez peut-être, cette initiative a débouché sur la création d’une commission d’enquête parlementaire, la mise à jour de comportement illégaux, et en définitive l’éclatement du Front National entre lepénistes e mégrétistes. Cette démarche a été soutenue par mon parti, le PRG, mais perçue avec inquiétude par d’autres formations politiques.
Je regrette de ne pas avoir pu continuer cette lutte et d’avoir cédé devant des partis politiques qui trouvent un intérêt électoral à diaboliser le Front National pour affaiblir la droite. Ce faisant, non seulement ils laissent certaines idées se répandre faute de les avoir réfutées, mais surtout ils développent eux-mêmes l’intolérance qu’ils prétendent combattre. En définitive, je pense que les médias et les organisations qui ont manifesté pour l’interdiction du Front National représentent un danger pour la démocratie et j’observe que le Front National, lui, n’a pas inscrit dans son programme l’interdiction de partis politiques. Enfin, j’estime que si le Front National, ses électeurs et ses militants, étaient traités normalement, ils se sépareraient de certains éléments fanatiques et apporteraient une contribution légitime au débat parlementaire. Je ne vois pas comment on peut concevoir la démocratie si l’on ne comprend pas cette position voltairienne.
Concernant, Alain Soral, j’ai fait sa connaissance à l’été 2006 lors d’un voyage de soutien au peuple libanais. Il n’avait pas encore rejoint le Front National et était étiqueté communiste. Il se montrait provoquant et la sympathie entre nous n’a pas été immédiate. Pourtant, j’ai vite apprécié son indépendance d’esprit et son courage. Nous avons traversé ensemble un pays en ruines, vécu des moments tendus dans lesquels chacun révèle le fond de lui-même, et nous sommes restés amis.
ReOpen911 : À l’identique, on vous reproche également vos relations avec Dieudonné. Votre voyage au Liban en sa compagnie (et celle de M. Soral) en été 2006, c’est-à-dire juste après l’intervention militaire de l’armée israélienne contre le Hezbollah. Cette compagnie, plus que le but de la visite même qui a été quasiment éclipsé, a étonné beaucoup de nos compatriotes, et a renforcé le sentiment chez certains que vous aviez rejoint le FN. Cette lecture simpliste des choses a par ailleurs été renforcée par des articles mensongers (on se souvient d’un article paru dans Libération auquel vous aviez répondu sur le Réseau Voltaire) qui annonçaient votre ralliement au FN. Apparemment, vous n’êtes pas conscient du «malaise» (en fait, plutôt de la haine) que suscitent ces liens ? Ou alors cela vous est égal. Mais ne croyez-vous pas qu’il est important d’être entendu pour être compris ?
Thierry Meyssan : J’ai croisé Dieudonné dans les années 1980, lorsque les partis de gauche fuyaient devant le Front National et qu’il s’est présenté à Dreux contre Marie-France Stirbois. Je l’ai revu après les attentats du 11-Septembre lorsqu’il a ridiculisé à la fois le discours sur ben Laden et celui de ben Laden. Après l’avoir ainsi vu se positionner contre le racisme et contre l’impérialisme, je l’ai vu s’opposer au sionisme. En 2005, je l’ai invité à la conférence Axis for Peace. Et c’est logiquement qu’à l’été 2006 j’ai envisagé avec lui d’organiser un voyage de leaders d’opinion au Liban pour y témoigner de ce qui s’y passait. En définitive, les personnalités qui s’étaient portées volontaires ont renoncé les unes après les autres à se rendre dans un pays en guerre. Lorsque le voyage a eu lieu, nous n’étions qu’un petit groupe et les hostilités venaient d’être interrompues.
Dieudonné n’est pas un politicien professionnel. C’est un bouffon qui se moque de nos incohérences et nous renvoie une image ridicule de nous-mêmes. Apparemment tout le monde n’a pas le sens de l’humour et n’accepte pas d’être remis en question par un saltimbanque. Il a fait à son tour l’objet d’une campagne de haine car le rire qu’il provoque met à mal l’hypocrisie et la langue de bois. Où qu’il se trouve, ses propos sont enregistrés et décortiqués. On leur attribue un sens répugnant en les sortant de leur contexte. Tout cela est bien loin de la démocratie.
Il m’a invité à son spectacle au Zénith. Je me suis trouvé assis au carré VIP parmi des personnalités de tous bords. Libération — qui avait publié 25 articles pour me descendre à la publication de L’Effroyable Imposture — a inventé de nouvelles âneries à cette occasion. Ce quotidien a prétendu à ses lecteurs que j’avais rejoint le Front National car j’avais serré la main d’un de ses députés européens ; le frontisme se transmettant probablement par simple contact cutané. Il s’agissait de Bruno Gollnisch que je croisais souvent par le passé au Parlement à Strasbourg ou à Bruxelles et que je respecte à la fois comme homme et comme élu du Peuple. Pour les fanatiques, la courtoisie est un crime, pour les démocrates c’est une vertu.
ReOpen911 : Permettez-nous d’insister, mais lorsque vous avez mené votre enquête au Liban, après les bombardements israéliens, pour écrire L’Effroyable Imposture 2, vous y êtes allés avec MM. Alain Soral et Dieudonné. À la fin de l’interview à la télévision syrienne que vous avez donnée en leur compagnie à cette occasion, Dieudonné a parlé de la présence de M. Le Pen au second tour des élections présidentielles comme d’une émancipation politique du peuple français. Il a par la suite demandé à Jean-Marie Le Pen d’être parrain au baptême de sa fille, ce que M. Le Pen a accepté. Et l’engagement de Soral au Front National est connu. Or les thèses remettant en cause la version officielle des attentats du 11/9 sont considérées par beaucoup à gauche comme étant celles de l’extrême droite antisémite. Vous devez donc être conscient du discrédit que votre apparition à la télévision syrienne jette sur votre personne et, par voie de conséquence, sur la remise en cause de la version officielle des attentats du 11/9 dans la gauche française. Pourquoi avoir néanmoins accepté cette compagnie au Liban et ensuite à la télévision syrienne ?
Thierry Meyssan : Permettez-moi également d’insister. Dans la vie, les mots et les actes des gens se contredisent souvent. Les actes sont plus importants que les mots. J’aurais aimé que beaucoup de leaders d’opinion nous accompagnent au Liban pour témoigner des crimes de l’armée israélienne. Ils ont eu peur et ne sont pas venus. Plus que des bombes, ils ont eu peur pour leur carrière, car l’agresseur c’était Israël. Dieudonné et Alain Soral étaient là, et c’est tout à leur honneur.
Il n’y avait alors que deux moyens d’entrer au Liban, soit par un vol civil britannique placé sous contrôle militaire de l’occupant israélien, soit par voie terrestre depuis la Syrie. Nous avons choisi cette seconde solution. À notre retour, la télévision syrienne a recueilli nos impressions, chacun s’exprimant comme témoin, à titre personnel. Je n’avais aucune raison de refuser de participer à cette émission alors que nous étions venus précisément au Liban pour témoigner de ce qui s’y passait.
Par la suite, Alain Soral a rejoint le Front National et il a présenté Dieudonné à Jean-Marie Le Pen avec lequel il s’est lié d’amitié. C’est étonnant, mais ça n’a rien de criminel. Qu’est-ce qui vous choque ? Que Jean-Marie Le Pen ait accepté d’être le parrain d’un enfant noir ? Ou, plus simplement, que les gens qui partagent notre analyse du 11-Septembre ne soient pas nos amis, mais des adversaires idéologiques ? Moi aussi, cela me perturbe.
Lorsque j’ai publié L’Effroyable Imposture, je m’attendais à des réactions selon le clivage droite-gauche, parce que j’avais toujours vécu avec. Je me suis rendu compte qu’une autre ligne de partage apparaissait, que j’avais des amis et des adversaires dans tous les camps. Je pense que nous devons tous nous repositionner en fonction de la question principale, celle de la souveraineté des peuples face à l’impérialisme.
Je milite au PRG, le parti de Jean Moulin, l’homme qui coordonna la Résistance française face à l’invasion nazie. Je m’inspire de son exemple : il accepta de travailler avec tous ceux qui voulaient défendre la liberté, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Il n’exclua que les individus et les groupes qui avaient participé à la guerre d’Espagne aux côtés des phalangistes et fait couler le sang des républicains. De même, je suis prêt à travailler avec tout le monde, à l’exception de ceux qui ont participé activement aux agressions impérialistes et fait couler le sang. Je pense aux sarkozystes qui ont envoyé les troupes françaises participer à la colonisation anglo-saxonne de l’Afghanistan.
Je suis étonné que vous soyez choqués par mes relations avec Alain Soral et Dieudonné, et que vous ne voyez rien à redire lorsque la totalité de la classe politique française se presse à des mondanités autour d’Al Gore ou de Condoleezza Rice. Qu’est ce qui est grave: témoigner des crimes israéliens au Liban ou semer la mort et la désolation de la Yougoslavie à l’Afghanistan ?
ReOpen911 : Pour terminer avec ce fameux voyage au Liban à l’été 2006, il vous a aussi été reproché d’être trop proche de la chaîne de télévision al-Manar, interdite en France (vous expliquez très bien dans quelles conditions dans L’Effroyable imposture 2), et un sympathisant du Hezbollah de M. Nasrallah, mouvement considéré par les médias occidentaux mais aussi par l’administration états-unienne, comme une organisation terroriste. Nous n’allons pas vous demander si vous êtes vous-même un terroriste, mais pouvez-vous expliquer votre position à nos lecteurs ?
Thierry Meyssan : Je ne suis pas simplement proche d’al-Manar, je prépare actuellement des émissions et des documentaires pour elle. Cette chaîne se définit comme la voix de la Résistance dans une région en guerre. Elle est devenue la seconde, en termes d’audience, dans le monde arabe. Contrairement aux allégations souvent colportées, elle n’a pas été interdite en France pour antisémitisme ainsi que le réclamait le CRIF, mais pour trouble à l’ordre public. Ce qui est injuste, mais pas faux car al-Manar pose un problème qu’il ne faut pas minimiser. Transposer en France sans explications les images de guerre du Proche-Orient, c’est introduire la guerre chez nous. On peut craindre que des Français découvrant soudain une réalité d’une extrême violence réagissent eux-mêmes d’une manière violente contre ceux qui en sont responsables et qui l’ont cachée. La solution n’est pas d’interdire al-Manar et de maintenir nos concitoyens dans l’ignorance, mais au contraire de les informer, y compris par le biais d’al-Manar, et d’ouvrir le débat démocratique. Le problème ce n’est pas al-Manar, mais le fait que la population française soit sous-informée sur le conflit au Proche-Orient, les médias ayant adopté la problématique sioniste et ne donnant la parole aux protagonistes que dans ce cadre biaisé.
Je vous ai dit que je ne connais pas d’autres limites à mes alliances que celles voulues en leur temps par Jean Moulin pour créer le Conseil national de la Résistance. Je me sens donc proche du Hezbollah en tant que principal réseau de résistance au Proche-Orient. Jadis, Charles De Gaulle et la Résistance française étaient considérés comme «terroristes» par les médias de la collaboration et par le Reich ; aujourd’hui, Hassan Nasrallah et la Résistance libanaise sont considérés comme tels par la presse occidentale et par l’empire états-unien. C’est dans l’ordre des choses. Vous n’avez pas de raison d’en être troublés.
J’éprouve beaucoup d’admiration pour Hassan Nasrallah, parce qu’il n’est pas simplement un grand résistant, mais parce qu’il a une vision claire du conflit et une pensée généreuse. Alors que beaucoup de Libanais se contenteraient de bouter l’occupant israélien hors du territoire et de régler divers problèmes bilatéraux, il ne se satisferait pas, lui, d’une paix qui laisserait des millions de non-Libanais dans le désespoir. De plus, il est conscient que la paix est impossible au Proche-Orient tant qu’y persistera l’apartheid, comme Nelson Mandela était conscient que la paix était impossible en Afrique australe tant que l’apartheid persisterait en Afrique du Sud.
Certains s’imaginent que, s’ils parviennent à libérer le Proche-Orient, Sayed Hassan Nasrallah et le Hezbollah imposeront une dictature religieuse. Ils pensent que je suis naïf et que je ne devrais pas m’acoquiner avec des fanatiques qui attendent sournoisement le moment pour écraser les mécréants comme moi. C’est prendre la propagande pour la réalité. La même propagande expliquait jusqu’à l’été 2006 que le Hezbollah était un groupuscule terroriste de moins de 500 combattants. Quand il a repoussé l’armée israélienne, il a fallu admettre que c’était une véritable armée soutenue par la majorité de la population, quelle que soit son appartenance ou sa non appartenance religieuse. Le Hezbollah, c’est un réseau de résistance à l’occupation militaire israélienne qui s’est formé au sein du mouvement social de Moussa Sadr, l’imam des pauvres. La seule comparaison contemporaine possible est avec les guérillas issues de la théologie de la libération en Amérique latine. Quand le père jésuite Camillo Torres dirigeait l’Armée nationale de libération en Colombie, il n’avait pas d’agenda caché pour instaurer une dictature religieuse. Il voulait simplement libérer son pays de l’impérialisme états-unien et des injustices sociales qu’il génère. Ce type d’accusation est un classique de la propagande: pendant des années, les médias occidentaux nous ont expliqué que Nelson Mandela voulait massacrer les Blancs et imposer une dictature communiste en Afrique du Sud. Aujourd’hui, les mêmes journaux célèbrent avec emphase son 90e anniversaire tandis que le président Bush s’est juste avisé, il y a quelques semaines, de le retirer de la liste des « terroristes » recherchés par les États-Unis.
ReOpen911 : Il est regrettable que le remarquable travail d’investigation et d’analyse géopolitique qui est le vôtre soit trop souvent discrédité jusque dans les milieux de gauche ou d’extrême gauche, pourtant au moins aussi anti-impérialistes que vous. Les sujets que vous abordez bouleversent tant les consensus habituels et vous déclenchez tant de polémiques qu’il devient difficile de discerner le vrai du faux concernant les bruits qui circulent sur vos sources d’information. Dans leur livre L’Effroyable Mensonge, Guillaume Dasquié et Jean Guisnel supposent que l’une de vos sources d’information sur le 11-Septembre serait Lyndon Larouche (par l’intermédiaire de Jacques Cheminade), qu’ils accusent d’appartenir à l’extrême droite. Larouche vous a-t-il réellement donné des informations sur le sujet ? Que pensez-vous de cette accusation fréquemment portée à son encontre d’appartenir à l’extrême droite ?
Thierry Meyssan : Nous revenons au processus de la diabolisation. Vous vous interdisez de penser quelque chose ou de discuter avec quelqu’un parce que vous craignez qu’il vous contamine. Vous vous interrogez sur l’origine de chaque idée avant de l’examiner. Vous enquêtez sur les relations de chaque personne à qui vous parlez pour vous assurer qu’elle n’est pas elle-même contaminée à son insu, comme le porteur sain d’une maladie. Finalement, votre paranoïa vous étouffe. Avant toute chose, désintoxiquez-vous, émancipez-vous.
Pour répondre à votre question, deux journalistes assurent dans un livre de commande que je serais un incapable et que L’Effroyable Imposture m’aurait été dicté par quelques individus, tous moins recommandables les uns que les autres. Parmi mes supposés mentors, ces journalistes imaginatifs citent le commissaire Hubert Marty-Vrayance que vous avez évoqué la dernière fois, puis Jacques Cheminade et Lyndon LaRouche que je ne connaissais pas à l’époque. Quelque peu surpris par cette élucubration, Jacques Cheminade m’a contacté à la parution de cet ouvrage. Je n’ai donné suite à son invitation qu’une fois le procès en diffamation contre ces auteurs terminé, c’est-à-dire deux ans plus tard. J’ai découvert un économiste de gauche, cultivé et généreux, avec lequel j’ai pris l’habitude de partager des analyses. Par la suite, il m’a présenté Lyndon LaRouche avec lequel j’ai moins accroché. J’ai lu les livres et les principaux articles qui les présentent comme des militants d’extrême droite camouflés, particulièrement le pavé de Dennis King, et j’ai pris le temps de vérifier les documents cités. C’est simplement idiot.
Personne ne m’a dicté ce que j’ai écrit, mais je n’ai pas pour autant le monopole de la lucidité. Bien d’autres personnes que moi ont compris dès le début que George W. Bush mentait à propos du 11-Septembre. Jacques Cheminade et Lyndon LaRouche sont de ceux-là, tout autant qu’Andreas von Bülow et bien d’autres.
ReOpen911 : Au cours de notre précédente interview, vous avez encore déclaré que « vous condamniez l’antisémitisme et le sionisme ». Si pour l’antisémitisme les choses sont claires, pour le sionisme, elles semblent l’être moins. Ce mot employé souvent par des gens qui n’en connaissent pas le sens exact ni la portée politique, fait référence l’ensemble des tendances et sensibilités politiques de la communauté juive, laïque ou religieuse qui à partir de la fin du XIXe siècle ont milité pour la création d’un État juif.
Après la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, les conditions issues du choc psychologique de cet effroyable événement ont poussé la « communauté » internationale et les Anglais, sous la pression des sionistes, à la création de l’État d’Israël en 1948. Le sionisme par là même aboutissait dans son combat. La formidable injustice faite au peuple palestinien à cette occasion a produit ce qui était prévisible sinon calculé : 60 ans de guerre et de haine, des milliers de morts. Aujourd’hui lorsque vous déclarez condamner le sionisme, devons-nous comprendre que vous appelez, à la déconstruction de ce que la communauté juive, laïque ou religieuse, d’extrême gauche à l’extrême droite, rassemblée par cette idée d’un État laïc pour le peuple juif a obtenu en 1948? Si la réponse est oui, pensez-vous que cet appel soit aujourd’hui une stratégie viable pour une paix durable? Ne pensez-vous pas qu’un partage équitable de Jérusalem et la création d’un État palestinien sur un territoire viable serait une voie plus réaliste, le respect d’un principe d’équité fondement d’une paix durable? Sinon qu’entendez-vous par « combattre le sionisme » ?
Thierry Meyssan : Premièrement, contrairement à ce que vous dites, et ainsi que je l’ai montré dans L’Effroyable Imposture 2, le sionisme n’est pas un mouvement nationaliste juif qui se serait développé au XIXe siècle en réaction à l’antisémitisme européen et aurait reçu l’appui de la communauté internationale après le massacre des juifs d’Europe par les nazis, comme on le prétend communément. La création de l’État d’Israël pour y regrouper les juifs dispersés est un projet des puritains anglo-saxons (appelés plus tard les «non-conformistes» et aujourd’hui les «évangéliques») depuis le XVIIe siècle. Ce projet a été inscrit par les Britanniques à l’ordre du jour de la conférence diplomatique de Berlin en 1878, contre l’avis des communautés juives d’Europe qui y étaient alors fermement opposées. C’est effectivement à partir de Theodor Herzl et de Zeev Jabotinsky que des juifs européens s’y sont progressivement ralliés. La Déclaration Balfour annonçant la création du «foyer national juif» en Palestine a été rédigée par le Royaume-Uni pour faciliter l’entrée des États-Unis dans la première guerre mondiale. Le président Wilson a alors confirmé que la création de l’État Israël (et de l’Arménie, mais c’est une autre histoire) étaient un des 14 objectifs de guerre des États-Unis. Si vous avez le moindre doute sur ces faits, je vous renvoie à mon livre où j’ai donné les références exactes de ces documents.
Cette mise au point est indispensable car on ne peut pas comprendre les relations actuelles de Washington et de Tel-Aviv et certains aspects de la politique internationale post-11-Septembre si l’on ne connaît pas la genèse réelle du sionisme.
Deuxièmement, à mes yeux, le problème actuel ne réside pas dans l’existence de l’État d’Israël, qui est
> devenu un sujet de droit international, mais dans la nature du régime politique en vigueur dans cet État. En 1947, la faction juive du mouvement sioniste était composée de nombreux groupes, inspirés par des idéologies diverses et antagonistes, mais en définitive, avec le temps, c’est la conception de la faction chrétienne du mouvement sioniste qui a façonné le régime politique de Tel-Aviv, comme elle avait façonné par le passé celui de Pretoria. Là encore, je vous renvoie à L’Effroyable Imposture 2, si vous ignorez l’histoire commune de l’apartheid sud-africain et de l’apartheid israélien.
Lorsque je vous ai dit, en tant qu’humaniste, combattre le sionisme, j’ai affirmé mon opposition résolue au système d’apartheid, rien d’autre. J’ai lu sur le forum de Reopen911 que l’un d’entre vous avait compris que je voulais éradiquer la population israélienne. C’est très insultant. Malheureusement, cela reflète le conditionnement auquel nous soumettent les grands médias. À les entendre, il n’y aurait que deux options : se résigner aux crimes de l’armée israélienne ou préconiser des crimes plus vastes encore ; il n’y aurait aucune possibilité de paix juste et durable. Ne vous laissez pas enfermer dans ces âneries.
Je reviens à mon propos. En l’état actuel des choses (et non pas au regard de la situation de 1947), je considère que la création d’un ou de deux États palestiniens à Gaza et en Cisjordanie privés des attributs de la souveraineté ne serait qu’une fiction, identique à celle des bantoustans d’Afrique du Sud, visant à la consolidation du régime d’apartheid. Je milite pour la reconnaissance de la citoyenneté israélienne des apatrides palestiniens, où qu’ils se trouvent, et la réforme du régime politique israélien sur la base «un homme, une voix». C’est de cette manière que le problème sud-africain a été résolu et c’est ainsi qu’une paix juste et durable peut s’installer au Proche-Orient.
ReOpen911 : Nous n’allons pas nous appesantir sur cette pratique qui tend à accuser (ou à laisser planer la suspicion) d’antisémitisme, puisque vous avez déjà répondu sur ce sujet. Cependant, vous voyagez beaucoup, partout dans le monde, et donc d’après votre expérience personnelle, est-ce là une pratique généralisée ou peut-on parler de spécificité française ?
Thierry Meyssan : Partout en Occident, le souvenir des crimes du passé nourrit une crainte de voir resurgir l’antisémitisme. Mais il n’y a qu’en France et dans les pays anglo-saxons que cette inquiétude légitime ait été instrumentée pour discréditer les dissidents politiques. Vous voulez interdire d’antenne un humoriste qui vous critique ou virer un dessinateur de votre journal? Dites qu’ils ont la rage ou accusez-les d’antisémitisme.
ReOpen911 : L’Effroyable Imposture ayant été un succès planétaire, il vous a été reproché de vous être «enrichi sur la crédulité des gens». Certes, nul n’a accusé M. Bernard Henri-Lévy de s’être enrichi grâce à son «romanquête» sur le journaliste Daniel Pearl, mais il était déjà richissime et extraordinairement influent. Peut-on savoir les bénéfices que vous avez personnellement tirés de la vente de ce best-seller ?
Thierry Meyssan : Comme je vous l’ai dit la dernière fois, mon éditeur français de l’époque, [Carnot], a été sollicité par des responsables états-uniens. Il a créé une filiale aux USA et y a transféré tous mes droits d’auteur sur l’édition française et les éditions étrangères dont il avait la charge. Puis, il a déposé son bilan en France et s’est enfui avec l’argent que j’avais gagné. Je n’ai donc jamais eu l’occasion de m’enrichir. Au demeurant, il faut être bien naïf pour croire que l’on puisse faire de l’argent en combattant l’empire états-unien.
J’ai néanmoins perçu quelques royalties avant sa faillite. Une fois payés les frais d’avocat, j’ai consacré la quasi-totalité de cet argent au Réseau Voltaire. Je vis de mon activité de journaliste dans des revues étrangères. Je n’ai ni propriété immobilière, ni voiture.
ReOpen911 : De même, qui finance le Réseau Voltaire ? Quel est son budget ? Le nombre d’employés ? Les méthodes de travail ?
Thierry Meyssan : Le Réseau Voltaire est exclusivement financé par ses lecteurs. Nous avons mis en place un système de dons en ligne qui offre des conditions maximales d’anonymat. Je me suis donc mis dans l’incapacité d’identifier les donateurs et je n’ai aucun moyen de les contacter pour les remercier. Nous touchons également une commission sur les livres vendus en ligne, bien qu’il s’agisse là plutôt d’un service aux lecteurs que d’une source de financement. Mais les petits ruisseaux font les grandes rivières.
Au cours des derniers mois, nous avons racheté du matériel. Dans la période actuelle, nos ressources financières sont insuffisantes et, outre les frais de documentation, sont entièrement absorbées par la maintenance technique des 12 sites Internet que nous éditons. Vous devez avoir en tête que des sites de cette taille coûtent cher.
Par le passé, nous avons eu des journalistes salariés. C’était malsain. On ne peut pas être salarié d’un réseau de résistance, fût-elle intellectuelle. Aujourd’hui, tous nos rédacteurs sont bénévoles.
Pour nous développer, nous devrions avoir des équipes de traducteurs permanents et un secrétariat pour la mise en ligne. Nous devons donc trouver d’autres sources d’argent. Nous voudrions mettre de la publicité sur Voltairenet.org, mais les annonceurs hésitent à mêler leur image à la nôtre. Évidemment pour une société qui a des intérêts aux États-Unis, c’est une mauvaise idée, mais pour ceux qui veulent percer sur les marchés arabes ou sud-américains, ce peut être au contraire très intéressant.
Nos méthodes de travail n’ont rien d’original, sinon que notre rédaction est éclatée dans plusieurs pays et que nous devons donc travailler avec des outils Internet adaptés. Ce qui est original, c’est le choix de nos sources et notre indépendance de pensée.
Après une année difficile, nous avons décidé de nous regrouper au Liban où plusieurs d’entre nous viennent de s’installer. Nous nous sommes placés au service de la Résistance et entendons poursuivre notre travail d’analyse et de prospective en étroit contact avec l’ensemble des formations anti-impérialistes, au Proche-Orient et partout ailleurs dans le monde.
ReOpen911 : À la suite de la publication de L’Effroyable Imposture, de votre point de vue, comment s’est mise en place la campagne de discrédit contre vous (et accessoirement votre présentation des faits) alors qu’au départ l’accueil semble avoir été plutôt neutre, voire assez bienveillant comme chez M. Thierry Ardisson (qui d’ailleurs par la suite invita M. Eric Laurent)?
Thierry Meyssan : Dès sa parution, ce livre a été chroniqué à l’étranger de manière très positive, puis en France avec bienveillance. La campagne de dénigrement a été lancée simultanément par trois médias : la Radio télévision belge, Le Monde et Libération. Seuls les journalistes du Monde avaient lu l’ouvrage, ceux de la RTBF et de Libération n’avaient aucune idée de son contenu. Les autres ont embrayé en quelques jours.
L’identité et la simultanéité des arguments, alors même qu’ils n’ont aucun fondement, attestent que ces critiques ont été coordonnées. Selon le témoignage d’amis journalistes qui ont assisté à la préparation de ces papiers, une personnalité est intervenue auprès des rédactions de plusieurs médias en ce sens. Les autres ont suivi de manière grégaire. Cette personnalité est aujourd’hui un des proches collaborateurs du président Sarkozy.
On a oublié quels étaient les arguments principaux de cette campagne. Il y avait, nous venons d’en parler, l’accusation d’antisémitisme, et celle d’anti-américanisme, mais il y avait surtout des critiques sur mes sources d’information. On me reprochait d’avoir travaillé en équipe, de ne pas m’être déplacé personnellement sur le site du World Trade Center et sur celui du Pentagone et d’avoir sollicité mes collaborateurs aux États-Unis et dans d’autres pays. On me demandait qui j’étais pour avoir une telle équipe. Surtout, on me reprochait de donner en bas de page les URL des documents cités. En 2002, tous les documents officiels US étaient disponibles sur Internet, mais en France le Journal officiel n’existait encore qu’en version papier. Mes confrères ne savaient pas comment utiliser ce média et n’étaient pas capables de faire la différence entre une déclaration du président des États-Unis publiée sur le site de la Maison-Blanche et les délires d’un illuminé sur son blog. Pour eux, tout ça, c’était du pareil au même et ce n’était pas fiable. J’utilisais un outil étrange et cela leur paraissait déloyal.
ReOpen911 : À l’issue de cette campagne, vous avez décidé de changer de stratégie et d’aller à la rencontre des pays arabes?
Thierry Meyssan : Non, au début ce n’était pas un choix. L’occasion s’est présentée. Au cours de cette campagne, j’ai été invité au centre Zayed, qui était à l’époque le think tank de la Ligue arabe à Abou Dhabi, puis j’ai été l’invité de la principale émission politique d’al-Jazeera. J’ai convaincu et cela m’a ouvert bien des portes.
Ne croyez pas que c’était facile. Si le public arabe était heureux d’entendre dire que des musulmans n’étaient pas responsables des morts du 11-Septembre, il protestait lorsque j’expliquais qu’Oussama ben Laden était un agent de la CIA chargé de provoquer le choc des civilisations. J’ai multiplié les débats publics avec des ambassadeurs, des généraux et des ministres. Je devais argumenter face à des contradicteurs autrement mieux informés sur ces sujets que les journalistes européens.
Cheikh Zayed, le président des Émirats arabes unis, a fait traduire mon livre. Il l’a imprimé et en a envoyé 5000 exemplaires dédicacés aux principales personnalités universitaires et politiques arabes. J’ai mobilisé la Ligue arabe pour qu’elle propose à l’Assemblée générale de l’ONU de constituer une commission d’enquête internationale sur le 11-Septembre. Les États-Unis m’ont alors déclaré persona non grata, ils ont menacé les États membres de la Ligue arabe jusqu’à ce qu’ils renoncent au projet, et ils ont contraint le Centre Zayed à fermer et à licencier ses 140 chercheurs.
Ce que j’ai entrepris là est d’autant plus considérable que je l’ai fait seul. Je n’ai jamais exercé de fonctions officielles et je n’ai jamais été adossé à une institution. Je n’avais d’autre arme que la force de mes idées.
ReOpen911 : Parlons de la Russie. Pourquoi être allé «pactiser» avec la Russie de Poutine, où la liberté d’expression est très contrôlée (on pense par exemple à la mort de la journaliste Anna Politkovskaïa), la stratégie des opérations menées «sous faux pavillon» tout aussi connue (attaques «terroristes» tchétchènes de 1999, voire l’empoisonnement de M. Alexandre Litvinenko) et les intentions impérialistes tout aussi fortes que celles des États-Unis ? Quelles étaient alors vos intentions ? Quel est le niveau de connaissance des élites russes sur le sujet du terrorisme fabriqué ?
Thierry Meyssan : Si vous examinez un jour les trois faits que vous me citez avec autant de précision que la version bushienne du 11-Septembre, vous découvrirez que vous vivez dans un monde de propagande et que la version que vous en avez est tout aussi fausse. Vous me dites que la liberté d’expression est très contrôlée en Russie. C’est vrai, mais c’est relatif. Elle l’est beaucoup moins qu’en France. Il est plus facile de critiquer Vladimir Poutine et Dmitry Medvedev dans les journaux russes que Nicolas Sarkozy dans la presse française.
Précisément, je me suis rendu compte que la presse française n’est pas libre. Ses journalistes s’interdisent de penser hors du conformisme ambiant. J’ai constaté le fantastique écho de mes travaux dans le monde arabe et je me suis décidé à mobiliser l’opinion publique internationale. J’ai donc pris l’initiative de poursuivre par la Russie. J’y conserve des contacts à haut niveau et j’écris régulièrement dans le principal hebdo politique et le mensuel féminin le plus diffusé.
Contrairement à votre préjugé, je ne pense pas que l’on puisse comparer la volonté de puissance des États-Unis à celle de la Russie. Washington prétend contrôler le monde global, Moscou ambitionne de restaurer son influence dans sa sphère linguistique et historique traditionnelle. Vous ne trouverez pas en Russie de projet comparable à celui du PNAC que vous avez traduit. Il faut l’admettre : les États-Unis veulent nous dominer, tandis que la Russie veut être notre partenaire. Les Slaves ne sont pas nos ennemis, ce sont nos frères. Ils sont beaucoup plus proches culturellement de nous que les États-uniens. Voltaire a vécu à la cour de Catherine II de Russie où le français était la langue officielle.
Il y a quelques jours, les États-Unis et Israël ont poussé la Géorgie à tuer les Russes d’Ossétie. Moscou a répliqué par une vaste opération militaire que la presse occidentale présente comme disproportionnée. En réalité, la Russie vient de sauver la paix mondiale, car si elle n’avait pas immédiatement stoppé l’agression, Washington et Tel-Aviv en auraient conclu qu’ils pouvaient se lancer dans la guerre qu’ils ambitionnent: la conquête de l’Iran, qu’ils ont préparée en occupant l’Afghanistan et l’Irak.
Les élites russes sont parfaitement conscientes de la réalité du 11-Septembre. Je vous renvoie à la préface du général Leonid Ivashov de la réédition française de L’Effroyable Imposture et du Pentagate. Jusqu’à présent, les élites russes ne voulaient pas en faire un sujet de polémique. Cela change: ne manquez pas la soirée que la première chaîne de télévision russe y consacrera le 9 septembre.
ReOpen911 : Même question avec une personne et un pays encore plus controversés: M. Mahmoud Ahmadinejad et l’Iran.
Thierry Meyssan : J’ai rencontré les principaux dirigeants iraniens des dernières années, mais pas le président Ahmadinejad et n’ai jamais demandé à le rencontrer. Ceux qui ont lu L’Effroyable Imposture 2 savent que je déplore sa stratégie : je pense qu’il devrait s’efforcer de faire baisser la tension dans cette région du monde au lieu de multiplier les provocations rhétoriques.
Au demeurant, la réalité de l’Iran n’a aucun rapport avec ce qu’en disent les médias occidentaux. On peut présenter la Révolution iranienne de manière négative tout autant que la Révolution russe ou la Révolution française. Mais ces événements ont émancipé des millions de gens à plus d’un titre.
Je vous choque et vous pensez que j’ignore la condition des femmes, des homosexuels ou des baha’is ? Pas du tout. Je vois le chemin qui a été accompli depuis le renversement de la dictature du Shah et l’expulsion des puissances coloniales. Contrairement à ce que prétend la propagande occidentale, les problèmes dont nous parlons ne sont pas dus à la Révolution islamique, ils sont bien antérieurs. La Révolution a réussi de grandes avancées sociales, auxquelles certains pays européens ne sont toujours pas parvenus, de la formation universitaire des femmes au remboursement de l’IVG.
J’ai autorisé les autorités iraniennes à publier mes livres en farsi sans droits d’auteur, à titre de contribution personnelle à la Révolution. Je participe presque chaque semaine à des émissions de radios ou de télévisions iraniennes, et je ne manque jamais une occasion de rappeler au public iranien l’intolérance et la violence qui persistent au sein de la société iranienne.
ReOpen911 : Comment s’est passé votre rencontre avec le Président du Venezuela, M. Hugo Chávez ?
Thierry Meyssan : Le Réseau Voltaire a agrégé de nombreux médias non alignés, particulièrement en Amérique latine. Les pages en espagnol de Voltairenet.org sont les plus lues et notre site est devenu la principale source indépendante en langue espagnole, si je mets de côté Rebelión qui est un portail et non une agence.
La plupart de nos responsables en Amérique latine ont des contacts fréquents avec le président Chávez, je ne l’ai rencontré pour ma part que brièvement, même s’il m’a fait l’honneur de me citer largement.
Vous semblez moins gênés par mes amitiés vénézuéliennes que russes ou iraniennes. Pourtant, Hugo Chávez aussi a été présenté dans la presse occidentale comme un dictateur antisémite et il a rapproché son pays à la fois de la Russie et de l’Iran. Il est vrai que, vu sa popularité dans toute l’Amérique latine, les accusations à son encontre n’ont pas marché.
ReOpen911 : Revenons en France, le gouvernement Sarkozy bénéficie de l’expertise de nos services de renseignement. Leur hiérarchie et leur organisation ont immédiatement subi de grands changements au lendemain des élections. La perception française des attentats du 11-Septembre (en assumant que le tandem Chirac/Villepin avait compris) a-t-elle évolué au sein de ces services et du cabinet Sarkozy et dans quel sens selon vous ? En clair, quel est votre avis, personnel, sur le niveau de connaissance du gouvernement Sarkozy au sujet de ce qui s’est réellement passé le 11-Septembre 2001 ?
Thierry Meyssan : Je ne pense pas que M. Sarkozy s’intéresse à savoir ce qui s’est réellement passe le 11-Septembre.
J’observe par contre qu’il écarte systématiquement tous ceux qui ont un avis dérangeant sur le sujet. Il a procédé à une véritable épuration au sein des services secrets extérieurs, des instituts de défense et de l’audiovisuel extérieur de tous ceux qui s’interrogeaient à voix haute sur le sens de l’opération de l’OTAN en Afghanistan et sur l’authenticité des liens supposés entre le 11-Septembre et ce pays. Il s’agissait de fonctionnaires qui se gardaient bien de professer des opinions dissidentes, mais qui avaient le tort de poser des questions légitimes.
Le président Sarkozy vient d’envoyer à la mort 10 jeunes soldats français en Afghanistan. Il justifie cela en reprenant à son compte le discours des néoconservateurs sur le 11-Septembre et la guerre au terrorisme. Ses arguments n’ont pas convaincu les militaires engagés dans cette opération, d’autant que ceux-ci voient très bien qu’ils ne luttent pas contre des «terroristes internationaux», mais contre une insurrection nationale. Le voilà donc qui se lance lui aussi dans le mensonge, allant jusqu’à reprendre le mythe (lancé par Laura Bush) des jeunes filles dont les «talibans» arracheraient les ongles parce qu’elles les ont vernis. Ce genre d’intox peut convaincre une opinion publique sous-informée aux États-Unis ou en France, mais pas les militaires en mission qui sont sur place. Au contraire, le recours si visible à la propagande ne peut que souligner à leurs yeux la mauvaise foi du président Sarkozy.
ReOpen911 : Qu’en est-il de l’élite diplomatique, journalistique et politique française ? Est-elle aussi désinformée que les citoyens français ?
Thierry Meyssan : Les élites ont les moyens de savoir si elles le veulent. Mais la plupart ne veulent rien savoir du tout. Elles préfèrent s’en tenir au confort du statu quo.
ReOpen911 : À votre avis, le mouvement pour la véritéur le 11-Septembre (9/11 Truth Movement) est-il suivi par différents services de renseignement dans le monde, et est-il considéré comme une véritable menace ou simplement comme marginal et minoritaire ?
Thierry Meyssan : Ce mouvement n’a rien de marginal. Il porte sur un point essentiel qui est un révélateur de tout un système. Comprendre le 11-Septembre, c’est retrouver l’esprit critique et découvrir que nous vivons dans un monde de mensonges. C’est par voie de conséquence remettre en cause tous les dogmes de notre époque, y compris les préjugés que vous avez cités à propos de la Russie ou de l’Iran. C’est aussi remettre en cause le bien-fondé de tout ce qu’a permis le 11-Septembre : les guerres en Afghanistan et en Irak, les loi anti-terroristes, les enlèvements de la CIA, la torture, etc.
Bien sûr que le mouvement pour la vérité est suivi par les services de renseignement de nombreux États. Comprendre le 11-Septembre, c’est redevenir un esprit libre. Cela a de quoi inquiéter les partisans de l’empire et conforter ceux qui lui résistent.
Entretien réalisé le 30 août 2008.
Première publication sur le site de Reopen911, le 1er septembre 2008.
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